Cagliostro et la haute maçonnerie égyptienne

état de la question

(9 novembre 2017)

Cagliostro est l’exemple même du rêve maçonnique égyptien à tel point qu’il est considéré aujourd’hui par beaucoup comme le père fondateur de la maçonnerie dite égyptienne. Il n’y a rien de plus faux. Le système de Cagliostro n’a eu aucune descendance et le personnage, qu’il soit vu comme un charlatan ou un grand initié, reste mal connu et entouré de mystères tant il s’assimile à un héros de roman.

Eléments de biographie

Né le 2 juin 1743 à Palerme d’une famille noble mais désargentée, Joseph Balsamo, le futur Cagliostro, est baptisé le 8 juin. En 1756 il entre au couvent des frères de la Miséricorde où il exerce des fonctions d’apothicaire mais il en est chassé deux ans plus tard, en 1758. On le suit alors à Messine où il rencontre un oncle à qui il empruntera le nom de Cagliostro. De 1764 à 1767 il est à Naples où il rencontre des francs-maçons. Il se marie en 1768. Sa femme sera connue sous le nom de Sérafina. Dès cette époque, il intrigue déjà et est soupçonné d’escroquerie. Dans les années 1770 il voyage en Europe, fréquente des francs-maçons et connaît aussi des déboires. Par exemple il est expulsé de Russie. Il arrive en France en 1780, à Strasbourg et se lie avec les Rohan, entichés d’alchimie. Si cette relation lui ouvre les salons du Paris illuministe où il exerce ses talents de guérisseur et mène un train de vie fastueux, cela l’amènera aussi à être impliqué dans l’affaire du collier de la Reine (1785) pour laquelle il sera embastillé un moment avant d’être blanchi et expulsé de nouveau. On le retrouve alors en Angleterre, en Suisse et enfin à Rome, endroit bien mal choisi puisqu’il y est arrêté en 1789 en tant que Franc-maçon, condamné en 1791, enfermé à San Léo où il mourra les 26 ou 27 août 1795.

Eléments de sa carrière maçonnique

Celle-ci est encore plus mal connue que sa vie. Il aurait été initié à Londres le 12 avril 1777 dans une loge qui parlait français « L’Espérance ». Dans cette ville il aurait connu un certain George Coston qui lui aurait donné le goût de l’Egypte, telle qu’on pouvait la rêver. De fait, il fonde une maçonnerie dite égyptienne dès 1778, avec des loges d’adoption. Il essaye d’implanter sa maçonnerie à Leipzig (Allemagne) mais surtout, en 1784, à Lyon où il rencontre l’hostilité du maître des lieux, Jean-Baptiste Willermoz. Il essaye néanmoins d’y organiser son rite égyptien et fonde la Loge de La Sagesse Triomphante. Cette même année il est contacté pour participer au convent des Philalèthes à Paris mais déclinera finalement l’invitation. Il a encore une activité maçonnique en Suisse en 1787 et arrête tout en 1788 en arrivant à Rome.

Le Rite égyptien de Cagliostro

C’est un rite de hauts grades dont il est le Grand Cophte. Pour pratiquer ce rite, il fallait avoir 25 ans, être déjà Maître maçon et croire en Dieu. Les 3 hauts grades égyptiens sont : Apprenti ; Compagnon ; Maître Intérieur. Le but est de s’unir à Dieu, en accédant à des pouvoirs surnaturels qui viennent de Lui et, accessoirement, d’allonger la vie humaine. Pour y parvenir ce rite a 3 composantes principales : l’Alchimie ; la Théurgie ; le Sacerdoce.

L’Alchimie structure la progression dans les grades égyptiens. C’est une alchimie aussi bien destinée à produire de l’or qu’à soigner les corps et, au-delà de la régénération physique, elle vise la régénération spirituelle. A travers un symbolisme planétaire, conjugal, numéral, biblique, le Franc-maçon doit trouver la matière première ou Grand Œuvre ce qui lui permettra de rejoindre Dieu et de s’unir à Lui. L’alchimie est ainsi la clef du symbolisme maçonnique et par elle on accède à la Théurgie.

Avec la Théurgie donc, on peut voir comme le pensait John Yarker en 1908 l’influence de Martinès de Pasqually. Dans le temple, le Maître Intérieur devient Coën. Par plusieurs types d’opérations, il invoque les anges, les prophètes via des médiums et peut établir un lien avec la puissance divine, ce qui implique la possession de pouvoirs surnaturels. Le Maître Intérieur pourra ensuite procéder à des célébrations théurgiques hors de la Loge. On se doute bien que Rome n’a pas dû apprécier ce genre de Sacerdoce.

Le Maître Intérieur a, en effet, à accomplir un Sacerdoce. Celui-ci n’a rien de spécifiquement égyptien. C’est un mélange de rites religieux, maçonniques, magiques, théurgiques, le tout plutôt ancré dans l’Ancien Testament, ce qui fait que Robert Amadou a pu l’assimiler à un rite « juif ». Mais Cagliostro lui-même ne se voyait-il pas comme une sorte de Christ ? Enfin la perspective est celle de la réintégration, rendue nécessaire après la Chute originelle de l’Homme. Tout cela fait de ce rite, quelque chose d’aussi mystérieux que la Maçonnerie dite « écossaise »…

Discussion

Il n’est pas impossible que Cagliostro ait repris des éléments de l’œuvre de Martinès de Pasqually après la mort de celui-ci.

Pour autant il s’en différencie notablement par l’importance donnée à l’alchimie, rejeté avec force par Willermoz. Cagliostro est ainsi le véritable introducteur de l’alchimie dans la Maçonnerie, ce qui aura une très grande destinée au point de devenir un lieu commun de l’interprétation de la symbolique maçonnique.

Autre différence majeure ou caractéristique du système de Cagliostro : l’absence de références directes au christianisme, et cela sans explication. Ce n’est évidemment pas une laïcisation au sens contemporain du terme mais c’est tout de même nouveau dans une Maçonnerie du XVIIIe siècle chrétienne, à l’image du grade de Rose-Croix. Aux siècles suivants, alchimie et anti christianisme iront souvent de pair, comme par exemple en remplaçant des symboles chrétiens par une signification alchimique aventureuse.

Enfin, Cagliostro, personnage caractéristique du XVIIIe siècle, siècle des « Lumières » et de l’illuminisme, des philosophes et des mystiques, est un mélange à la fois d’aventurier de tout poil et de mystique, de théurge, auteur de rituels, d’une autre dimension cependant que les promoteurs des rites égyptiens d’aujourd’hui.

Bibliographie

  • Marc Haven, Le Maître inconnu Cagliostro, étude historique et critique sur la haute magie, Paris, 1912, réédité ; Rituel de la Franc-maçonnerie Egyptienne, 1948, réédité ;
  • Denise Dalbian, Le Comte de Cagliostro, Paris, 1983 : une biographie sérieuse ;
  • Robert Amadou, Cagliostro et le rituel de la Maçonnerie égyptienne, Paris, 1996, réédité : un plaidoyer pour la théurgie ;
  • Philippa Faulks et Robert L.D. Cooper, The Masonic Magician: The Life and Death of Count Cagliostro and His Egyptian Rite, 2008
  • Articles :
    • Le Monde maçonnique des Lumières, Paris, 2013 (Charles Porset)
    • The Square, septembre 2017 (Nigel Wade)


Au titre de la bibliographie générale, notre Frère Orateur nous signale la parution du livre de François Boespflug, Dieu au compas, Cerf. Il s’agit de l’histoire du Dieu géomètre dans l'art d'Occident (IX°-XIX° s.). La Franc-maçonnerie puisera largement dans ce corpus chrétien.