ésotérisme maçonnique et tradition chrétienne
(26 janvier 2017)
Voilà un programme de travail qui semble inattendu, et certainement délicat, dans une loge maçonnique tant la Franc-maçonnerie française d’aujourd’hui continue à avoir de grandes difficultés à aborder sereinement, et à étudier, les questions qui touchent à la religion. Si l’église catholique romaine a une grande part de responsabilité dans ses mauvais rapports avec la Franc-maçonnerie en la condamnant régulièrement depuis 1738, la Franc-maçonnerie française elle-même n’a pas contribué à calmer les choses en adoptant, au rebours de sa tradition, des positions anticléricales affirmées depuis le fameux convent de 1877. Ce contexte hautement polémique nous pose, comme franc-maçon, un problème méthodologique : une loge maçonnique est-elle le lieu adéquat pour étudier les rapports de la religion avec la Franc-maçonnerie attendu que nous sommes inévitablement juge et partie ? C’est ici que le concept de loge d’études et de recherches apparaît comme particulièrement approprié puisque c’est d’abord et avant tout comme chercheur ayant l’obligation et le devoir de suivre la méthode purement académique que nous étudierons ces problèmes : Quels sont les rapports entre religion et Franc-maçonnerie ?
Au XVIIIe siècle, les condamnations papales de la Franc-maçonnerie –mais les catholiques ne seront pas les seuls- s’appuient sur plusieurs arguments.
1. Le secret
Le « secret » maçonnique inquiète. On croit y voir le besoin de cacher des activités néfastes contre la religion en général et l’institution romaine ou autre en particulier.
2. Le latitudinarisme
A cet argument politique s’ajoute un argument théologique : la Franc-maçonnerie favoriserait le latitudinarisme. Elle s’accorderait ainsi des libertés dans les principes dogmatiques catholiques ou autres. Mais outre le fait qu’on ne voit pas que la Franc-maçonnerie ait, en tant qu’institution, jamais pris position sur quelques dogmes religieux que ce soit, ce qui est expressément interdit par les Constitutions, l’Ordre maçonnique est, dans son principe, incontestablement respectueux des pouvoirs politiques et religieux en place. D’un autre côté, la Franc-maçonnerie ne se montre pas indifférente en matière religieuse puisque son symbolisme est largement informé de christianisme jusqu’à favoriser l’apparition de grades comme celui de Rose-Croix. Mais ceci est à double tranchant : certains, ignorants à n’en pas douter, apparentent ces grades à des sacrements, et veulent y voir une sorte de blasphème voire de profanation jusqu’à rendre incompatible religion chrétienne et Franc-maçonnerie.
3. L’ésotérisme
Nombre d’institutions religieuses reprochent à la franc-maçonnerie son « ésotérisme » dont, à vrai dire, elles ont une idée très sommaire associée à la notion péjorative de secte et à l’opposition simpliste exotérisme-ésotérisme. Cette conception de l’ésotérisme est bien loin de la définition académique rappelée plus haut. En réalité l’ésotérisme est une langue de signes et de symboles –dont le symbolisme maçonnique est un des exemples- qui est un regard sur le monde (pour reprendre la belle expression de Jean-Pierre Laurent). En d’autres termes il n’y a pas d’ésotérisme en soi, maçonnique ou non. L’ésotérisme, ce sont des courants de pensées diverses et variées à travers l’histoire, les cultures et spiritualités y afférentes du monde occidental et qui répondent à 4 critères : les correspondances ; la nature vivante ; le rôle des médiations et de l’imagination ; l’expérience de la transmutation ou seconde naissance.
Bref, on l’a compris, les rapports entre religion et franc-maçonnerie moderne sont complexes d’autant qu’ils naissent en un siècle, le XVIIIe, qui ébranle les fondements du christianisme. Dans ce contexte critique, la Franc-maçonnerie a pu apparaître comme une tentative de refondation spirituelle en général et du christianisme en particulier. Songeons à la notion de « christianisme originel » développée par Joseph de Maistre et Louis Claude de Saint-Martin. Et tout cela dans une atmosphère effervescente de recherches spirituelles : le pur amour de Mme Guyon qui a pu inspirer Ramsay ; le piétisme allemand ; l’idée d’église intérieure qui s’affranchit de tout appareil clérical et qui développent les concepts de « prière du cœur » et de « voie cardiaque »; la théurgie d’un Martinès de Pasqually ; le swedenborgisme ; le mesmérisme etc. D’une certaine manière la Franc-maçonnerie s’inscrit aux confluents de tous ces courants.
Ainsi, notre étude cherchera à comprendre ce qu’est l’ésotérisme maçonnique et dans quel contexte il s’est élaboré.
Au cours de la discussion les sœurs et frères insistent sur le fait que la Franc-maçonnerie en tant que telle interdit en son sein tout débat en matière théologique. Si cela se produit –et cela s’est produit- il s’agit incontestablement d’une dérive dangereuse.
Ils notent aussi combien l’étude que nous nous proposons est difficile tant a été importante l’action militante antireligieuse des XIXe et XXe siècles français doublée maintenant d’une profonde inculture religieuse.
La vision même qu’on peut avoir de l’ésotérisme a été marquée par le prisme déformant de ces deux derniers siècles et se confond bien souvent avec l’occultisme.
Enfin, ils rappellent les récents travaux de Jan Assman qui développe l’idée que la Franc-maçonnerie aurait pu proposer au XVIIIe siècle une sorte de spiritualité délaissée par les religions institutionnalisées. Encore imprégnée de christianisme, elle propose des grades qui sont comme des commentaires de certains épisodes bibliques à revivre et méditer.