L’égyptomanie dans la franc-maçonnerie du XVIIIe siècle
sources, aspects et état de la question
(27 avril 2017)
(27 avril 2017)
Ce n’est pas l’histoire de la franc-maçonnerie égyptienne qui sera abordée ce soir mais les origines de celle-ci, origines qui plongent leurs racines dans les siècles qui précèdent son apparition. Si certains pensent encore que la franc-maçonnerie est une société fermée, coupée du monde, la réalité est tout le contraire. Extrêmement poreuse à la société dont elle fait partie, la franc-maçonnerie est largement façonnée par les idées, les thèmes culturels et autres qui lui sont antérieurs, qui l’entourent et dont elle s’inspire et qu’elle adapte. Avant même que la franc-maçonnerie égyptienne n’apparaisse au début du XIXe siècle, le rêve égyptien avait hanté l’Europe occidentale depuis des siècles et c’est cette histoire que nous allons évoquer. La référence bibliographie indispensable est Les Rite maçonniques égyptiens par Roger Dachez, collection Que Sais-Je, Presses Universitaires de France, 2012, chapitre I « « L’Europe et le rêve égyptien ». Nous ne donnons ici qu’un bref résumé.
Pour comprendre comment on voyait l’Egypte jusqu’au XVIIIe siècle en Occident, il faut oublier ce que l’on sait sur cette civilisation depuis les découvertes fondamentales de Champollion au début du XIXe siècle. Sur l’histoire authentique de l’Egypte ancienne on peut lire par exemple : Histoire de l’Egypte ancienne de Nicolas Grimal, professeur au collège de France, Le Livre de Poche, Références Histoire, n° 416, 2009.
Grosso modo, les connaissances que l’on avait de l’Egypte venaient principalement de l’Antiquité grecque et nous donnait, en réalité, la vision d’une Egypte conquise et remodelée par les Grecs -par exemple, le panthéon des dieux soi-disant égyptiens - et qu’on appelle l’Egypte hellénistique. Pendant cette époque (IVe siècle avant Jésus-Christ jusqu’à la période byzantine, Ve siècle après J.C.) la tradition égyptienne authentique disparaît - la lecture des hiéroglyphes est perdu au Ve siècle – au profit d’une Égypte revisitée par la civilisation grecque puis romaine. Ce sont les débris de cette connaissance qui formeront le peu de ce que l’on saura de l’Egypte jusqu’à la fin du Moyen-âge.
a) Le premier pilier se situe au début de la Renaissance, au XVe siècle avec la découverte puis la traduction par Marcile Ficin du Corpus Hermeticum. Ce texte censé avoir été rédigé par Hermès trismégiste, réputé égyptien, plus ou moins assimilé au dieu Thot et à Moïse, sera perçu comme une sorte de révélation d’un message essentiel issu de l’Egypte de la nuit des temps. Même si Isaac Casaubon démontrera en 1614 que ce texte ne date que des IIIe-IIe siècles avant notre ère, donc de l’époque de l’Égypte hellénistique, l’influence du Corpus Hermeticum restera considérable dans la naissance des courants ésotériques modernes. (Antoine Faivre, L’Esotérisme, collection Que Sais-je ? P.U.F.)
b) Le second pilier est Giordano Bruno qui vécu au XVIe siècle. Il soutint l’idée qu’il existe une sagesse venue du fonds des âges, antérieure (mais pas opposée) au christianisme, une prisca theologia ou philosophia perenis donnant un enseignement sur l’origine du monde, la nature de Dieu, etc. qui transcende tous les courants religieux et qu’il appelle « la religion égyptienne » ; « égyptien » signifiant ancien, fondateur mais n’ayant aucun rapport avec l’Egypte authentique, bref une sorte de rêve égyptien.
c) Le troisième pilier est Athanasius Kircher. Ce savant vécut au XVIIe siècle. Dans Oedipus Aegyptiacus il présente l’Égypte comme une sorte de religio duplex (telle que la définira Jan Assman) : il aurait existé en Egypte dans le secret, une sagesse, une science, une connaissance, une religion intérieure réservée, qui annonçait le christianisme. Quoiqu’il appuie sa démonstration sur un déchiffrage totalement fantaisiste des hiéroglyphes, son œuvre sera bien reçue et reconnue.
S’il est question des pyramides dans le Constitutions de 1723, ce sont surtout des romans qui vulgarisent l’idée égyptienne. Dans Les Voyages de Cyrus (1727) Ramsay énonce l’idée que l’Egypte est la mère de toutes les sciences. En 1730 l’abbé Terasson dans Sethos pose les bases de ce que sera l’égyptomanie maçonnique : des mystères initiatiques se déroulent dans les sous-sols de la grande pyramide, les quatre éléments y jouent un rôle important, etc., autant de thèmes repris par la franc-maçonnerie au début du XIXe siècle, notamment par Alexandre Lenoir (1811).
La découverte de l’Egypte authentique, au début du XIXe siècle arrivera trop tard pour espérer dissoudre ce rêve égyptien qui venait justement de se cristalliser dans la franc-maçonnerie.
Discussion :
En tout cas si ce siècle est en effet le siècle des lumières il est aussi celui des illuministes, de ceux qui rêvent d’une autre religion, d’une autre connaissance. En ce sens, le rêve égyptien a toute sa place dans les courants ésotériques modernes.
Bibliographie : La quête d’Isis, essai sur la légende d’un mythe, de Jurgis Baltrusaitis (Flammarion, 2009).
On pourra également entendre lors de la prochaine conférence internationale d’histoire maçonnique à la Bibliothèque Nationale de France les 26 et 27 mai 2017 une communication de notre TV sur le thème : « Les Voyages de Cyrus du chevalier de Ramsay : entre roman spirituel et conte philosophique ».
Au titre de la chronique bibliographique il est rappelé la récente parution du n° 185 de la revue Renaissance Traditionnelle entièrement consacré à « Maître Jachin et maître Booz : de la tradition maçonnique aux mythes du compagnonnage » de Gaël Meigniez. Il s’agit d’un inventaire des sources littéraires, historiques, culturelles, opératives etc. qui expliquent comment le symbolisme maçonnique est né dans la culture européenne.